À PROPOS

© Robert Brunton, 2023

Ozi est le diminutif amoureux que mon père Alain Moreu donnait à Roseline Moreu Lubrano di Scampamorte, ma mère. 

Je n’ai jamais entendu personne d’autre l’appeler ainsi, et j’ai beaucoup hésité à prendre pour ce projet — comme on kidnapperait — ce surnom qui n’appartenait qu’à eux. Ozi, c’est aussi le nom qu’ils ont donné au bateau qu’il lui a offert — « leur dernière folie » comme ils aimaient à le dire — et depuis lors tout le monde connaissait l’origine de ce nom, sans pour autant appeler maman ainsi. 

Si j’ai beaucoup hésité, je n’ai pas hésité longtemps. Sept ans après son décès, comme je l’ai déjà exprimé par ailleurs, il reste impossible de dire adieu à Celle qui m’a dit bonjour au premier jour de mes jours. Et si je peux toujours vous parler d’Elle, ce que je veux surtout c’est lui faire vivre mille et une nouvelles vies au-delà des mille et une qu’elle a réellement vécues et que je n’ai pas toutes connues. Alors j’en évoque certaines que je découvre, d’autres que je savais, mais je peux aussi la réinventer. Je peux dire cette maman qui ne nous a pas quittés et aussi en faire ce personnage qui nous survivra.

Il y a plusieurs origines à ce besoin de m’exprimer à nouveau au travers de textes et d’images mêlées :

— J’écris ce texte 10 096 jours après le décès de mon frère Jean-François, 2 672 jours après celui de maman, 657 jours après celui de mon ami Simon. J’ai toujours eu tout au long de ma vie cette capacité à voir apparaître ces décomptes quotidiens sans pour autant faire appel à des calculs, parfois sans me souvenir des dates d’origine. J’ai cité trois drames, mais il m’arrive d’être assailli par des décomptes sans intérêt ni raison particulière. Je ne peux pas décider de pouvoir le faire pour une date spécifique ni convoquer tel ou tel décompte que j’ai déjà
exprimé. Il y a des périodes de ma vie durant lesquelles je n’en ai aucun de disponible. Ce que je sais en revanche c’est que leurs apparitions conscientes sont le signe de mon besoin d’exprimer un indicible, de m’approprier mon histoire, en l’évoquant à ma manière. 

— Le 26 septembre 2021, lors de la dernière conversation téléphonique que j’ai eue avec Simon, avec qui j’ai partagé l’essentiel de ma vie tant affective que professionnelle, j’ignorais qu’il allait choisir de se donner la mort deux jours plus tard… nous évoquions des vêtements qu’il avait commandés pour moi sur Internet depuis deux mois, ils étaient arrivés depuis un certain temps et à part un t-shirt tout le reste était bien trop petit. Nous avions retourné les éléments qui n’allaient pas et j’ai rapidement reçu un nouveau colis ; à nouveau constitué de petites tailles… Je l’avais trouvé anormalement excédé par la situation et il m’a dit qu’il allait s’en charger. Puis plus rien, jusqu’à cette dernière conversation durant laquelle il m’a dit être désolé, mais que la marque n’aurait plus ma taille ! Je lui répondis qu’ils étaient très beaux et que je pouvais les lui envoyer puisqu’à lui, ils iraient très bien. Il a refusé me disant « non c’est important que tu les gardes, ce qui compte c’est le souvenir ». Je n’ai pas compris ce qu’il m’annonçait.

J’ai beaucoup repensé à cette phrase depuis, à la notion même de souvenir et à celle de Mémoire. La première si nécessaire, et l’autre qui s’impose froidement sans se partager réellement. Ainsi ma troisième motivation m’a été comme dictée :

— Il faut s’imposer de fuir la Mémoire, pour ce qu’elle fige à jamais tout ce qui nous anime. Avant de disparaître à son tour et pour toujours emporter dans sa chute les surprises de la vie.

Et pour leur créativité, leurs petits et grands mensonges, pour l’émotion, pour l’inventivité, les larmes et les rires… Pour les mythes et légendes… Pour la frime innocente et les emportements du cœur… Pour ce qu’ils ont en commun avec la vie qui surprend, pour ce qu’ils continuent de nous animer et d’étonner nos proches bien au-delà des adieux : il faut chérir et laisser vivre les souvenirs !! Les laisser vivre leurs vies… estomper les plus intimes ou les moins glorieux, amplifier ceux qui semblent n’attendre que ça, réinventer la manière dont ils s’articulaient et les transmettre. C’est cela la vie d’un souvenir, la réinvention permanente. La vie d’un souvenir c’est tout simplement la vie qui continue.

Il faut sans cesse les raconter, et à force les améliorer imperceptiblement à chaque fois, les réinventer, les adapter… il faut dans un même mouvement composer des récits qui n’étonneront personne, et rassureront même ; comme en inventer qui surprendront les proches, jusqu’à en concevoir d’impossibles, voire des choquants, il faut offrir aux souvenirs une vie qu’eux-mêmes insufflent à celles et ceux qui ne peuvent plus la vivre par circonstances ou par choix… Faire vivre à nos proches des temps qu’ils n’ont pas connus, leur faire vivre ceux que nous découvrons sans eux. Se fabriquer des souvenirs pour les garder dans nos vies et abandonner la Mémoire aux pierres froides des cimetières. Ces dalles qui ne raconteront rien aux enfants qui n’ont pas connu ceux qui s’y abritent, alors que les souvenirs — ces histoires qui se transmettent — subissant sans cesse de nouvelles transformations maintiennent la vie elle-même.

J’ai voulu ce projet, à la fois comme une sorte de performance un peu sophistiquée et une production simple sur la forme, et je regrette que notre ami Gilles Mahé ne soit plus parmi nous pour constater à quel point la liberté qu’il donnait aux formes de l’expression artistique reste déterminante à mes yeux. Ici il s’agit de créer la marque de t-shirt T-OZI (avec tous les aspects d’une marque réelle, logo, création des modèles, réalisation, étiquetage… jusqu’au catalogue de présentation et commercialisation que vous tenez entre les mains) qui est en
réalité, prise dans son ensemble, une œuvre, et un geste simple sur la forme… Créer à partir d’une seule et même image de Roseline « Ozi » Moreu Lubrano di Scampamorte prise en 1981 au Col du Passon un certain nombre de modèles simples ou plus complexes, émouvants ou rigolos, destinés à être offerts pour la plupart à une seule et unique personne en particulier. Quelques compositions ont été éditées à plus d’un exemplaire, en général deux et une seule fois à quatre et dédiées au même nombre de proches à qui elles pouvaient correspondre également. 

Réalisées avec mon collaborateur, partenaire professionnel et quasi-frère Julien Maeda, ces compositions relient le traitement de la photo à la personne destinataire et les lettres OZI dans des mots ou des expressions qui apparaissent sur l’image. Parfois intimes et lourdes d’émotions, parfois sophistiquées, elles peuvent être aussi ludiques, voire flirter avec la facilité. C’est ainsi.

Ozi aurait certainement aimé l’idée et le processus, maman sans aucun doute été mal à l’aise d’en être le sujet, Roseline détesté certaines propositions trop voyantes, beaucoup ri d’autres parmi celles les plus éloignées de sa véritable personnalité. Elle n’aurait en tout cas jamais porté un t-shirt avec son portrait ou n’importe quel autre motif envahissant. Mais c’était avant les nouvelles vies que je lui dédie, alors qui sait ?

SM

Paris, 17 juillet 2023

© R. Brunton (détail)

Je remercie Dominique Mboungou et Momy Personnalisation, sa société qui vient de s’installer il y a une vingtaine de jours à 20 m de nos bureaux et de chez moi, précisément au 10 de la rue Hitorf dans le 10e arrondissement de Paris. Il n’avait pas encore eu le temps de changer d’enseigne, celle du retoucheur couturier, le Flambeau d’Afrik est encore en place à l’heure à laquelle j’écris ces lignes et sur la couverture de ce catalogue réalisée par mon ami photographe Robert Brunton. Dominique s’est dédié à ce projet qui n’a cessé d’augmenter au cours des 3 semaines de sa réalisation. Chaque jour je venais avec de nouveaux motifs et il restait ouvert pour moi jusqu’à 22 h et plus. Il a très vite compris qu’il ne s’agissait pas d’un projet commercial usuel tel que ceux auxquels il était habitué, mais d’un geste créatif atypique en hommage à une maman. Il nous a apporté la technique, l’expérience et le temps sans lesquels nous n’aurions pas pu mener à bien notre projet.

Retour en haut